Phnom Penh est l’un de nos plus anciens centres en Extrême Orient ayant été hérité du réseau d’Air France lors de la création de la SITA.
Il était situé à cette époque sous la cage d’escalier de l’Hôtel Royal, Avenue du Maréchal Joffre. Le personnel se composé d’un opérateur travaillant en code Morse avec le centre de Saigon, lequel relayait les messages à Tananarive d’où ils étaient retransmis sur Paris.
L’équipement comprenait un émetteur Marconi et son double en secours. C’est l’émetteur qui équipait les « heavies », Halifax et Lancaster de la RAF, reconnaissable à ses trois paires de larges boutons d’accord bleus, jaunes et rouges que les radio-navigants pouvaient aisément distinguer dans la pénombre d’un vol de nuit. Le récepteur était un BC 342 des surplus américains.
Pour la petite histoire l’Hôtel Royal est maintenant géré par le groupe Raffles d’hôtels de luxe et le dessous de la cage d’escalier remise à neuf, insonorisée et air-conditioné, sert de bureau Internet pour les hôtes de passage.
Le centre de Phnom Penh pris de l’essor avec l’indépendance du Cambodge, la création de la compagnie Royal Air Cambodge équipée d’un Dakota et d’une Caravelle, l’arrivée de nouvelles compagnies dont Air Vietnam et CSA de Prague, et de plus la création de bureaux off-line. C’était également l’époque où SITA désirait reprendre les télécommunications de l’Aviation Civile et un Chef de Centre européen, Mr Pradines, y fut affecté pendant deux ans. Le centre était désormais ouvert 12 heures par jour avec 3 opérateurs. Pour accommoder ce personnel SITA loua une chambre dans l’aile droite du même hôtel et la transforma en bureau.
Siem Reap commençait à se développer avec le tourisme sur Angkor – un vol journalier en Dakota depuis Phnom Penh, soit une vingtaine de passagers. La Chine bâtissait et offrait une piste en dur dans le but de permettre les nouveaux jets internationaux de se poser à Siem Reap. Sur la demande d’Air Cambodge j’installais un centre radio-morse au Grand Hôtel d’Angkor. Il n’y avait qu’un seul opérateur, Mr Bouth Bin.
La reprise tentée des télécoms de l’Aviation Civile ne se matérialisa pas, le contrat de Mr Pradines ne fût pas renouvelé et Mr Ferlicot fût nommé Chef de Centre. Mais le trafic augmentait toujours et un circuit radio-teletype fut implémenté entre Phnom Penh et Saigon. En fait il n’y avait pratiquement pas de techniciens en ville et les PTT nous fournirent la totalité de l’équipement à charge à la SITA de l’installer et de le faire fonctionner. J’installais le matériel, les opérateurs apprirent très rapidement les réglages et tout fonctionnait sans problème. Pour réaliser ces installations SITA s’était vue contrainte de louer une partie des caves de l’hôtel, un espace parfois inondé, mais il fallait faire avec et le câblage de ce nouveau centre avait été fait en conséquence et tout en hauteur. En cas d’inondation les opérateurs avaient les pieds dans l’eau.
Entre temps H. Ruelle, mon patron, avait pris de nouvelles fonctions en Afrique et moi-même avais été posté comme Représentant à Bangkok. De là, j’implémentais SITA au Sri Lanka et en Nlle Zélande et prenais le contrôle de Tahiti et de la Nlle Calédonie où j’avais déjà effectué les installations techniques. Le manque de technicien au Cambodge était un réel problème d’autant plus qu’il fallait tout faire par nous mêmes sans compter sur les PTT. Je visitais Phnom Penh mensuellement. J’avais une 2CV personnelle entreposée le reste du temps dans un hangar d’Air France ce qui me donnait de la mobilité en ville et vers l’aéroport pour l’entretien des télétypes et les visites aux compagnies, ainsi que la possibilité d’emmener de l’équipement à Siem Reap. Quant à l’entretien du matériel du centre et sa modernisation je le faisais de nuit après la fermeture des circuits. Je ne sais combien de nuits j’ai passées dans cette cave. L’Extrême Orient est peuplé de fantômes, tout au moins dans l’esprit de ses habitants. Un gardien de nuit du Royal surpris de me voir si souvent de nuit dans ce lieu me dit : « Monsieur, si un jour plus tard il y a un fantôme dans cette cave je sais que ce sera vous ! ». Au moins maintenant je connais où je résiderai …un jour, plus tard !!!
Mr Ferlicot partant pour Paris fût remplacé par un local, Mr Ung Pokeng.
Vint l’épisode des Khmers Rouges. Le dernier message d’Ung Pokeng fût : « Des hélicoptères géants se posent à l’Ambassade américaine, la situation ne peut pas faire long feu ».
Pol Pot et ses collègues anciens étudiants rentrant de France décidèrent d’instaurer leur propre conception d’un état socialiste. Les villes furent vidées et tous les citadins étant considérés comme capitalistes furent envoyés dans la rizière et la forêt. On estimes à 2 millions le nombre de morts durant la période Khmers Rouges alors que la pays comptait 6 millions d’habitants.
Exaspérés par les incursions sur leur territoire, principalement dans la province de Ha Tien, l’armée vietnamienne pénétra au Cambodge pour y mettre en place un nouveau gouvernement Cambodgien. Les Khmers Rouges se replièrent à l’ouest vers la frontière Thai et Phnom Penh fût libéré. Cependant la France, la Chine et les USA reconnaissaient toujours le gouvernement Khmer Rouge tandis que la Russie soutenait le nouveau gouvernement et ouvrait des vols sur le Cambodge. Je fus donc approché par Aeroflot pour y rétablir des communications valables.
Avec J. Bosc, mon assistant pour la plupart des pays socialistes d’Asie, nous nous rendîmes à Phnom Penh où nous étions accueillis par des officiels Russes et Cambodgiens. La première constatation fût que ma totalité des équipements SITA avaient disparus, mais le plus triste était d’apprendre que tout notre personnel était mort. Nous visitâmes une école qui avait servi de prison non loin de notre ancien centre, il y avait encore du sang séché partout, les chaines en fer par lesquelles étaient attachés les prisonniers à leurs lits de fer étaient toujours en place, des cranes et des os trainaient un peu partout. Dans une ancienne salle de classe une famille pleuraient et priaient sur les restes d’un membre du gouvernement probablement passé en disgrâce et exécuté.
Plus tard nous apprenions que Bouth Bin, l’opérateur de Siem Reap, avait été exécuté devant son centre, mais ultérieurement nous avons retrouvé son fils que nous avons aidé financièrement à se refaire une vie.
J’avais en tête d’apprendre comment avaient finis notre personnel de Phnom Penh, Ung Pokeng, Chhieng, Ath Loun , Thanh et le coursier. Au cours d’une mission ultérieure je suis retourné dans l’ancienne école. Les accusés, tout au moins certains d’entre eux, devaient confesser leurs fautes par écrit et j’ai lus une quantité de documents écrits en français. Je me souviens de la confession d’un Eurasien qui disait : « Je suis né en France mais j’ai voulu connaître le pays de ma mère Cambodgienne. J’y ai trouvé du travail et j’y suis resté car j’aime ce pays ». Il fût exécuté comme les autres. Après quelques heures passées dans cet ossuaire debout auprès d’un monceau de cranes j’ai finalement renoncé à poursuivre ma recherche qui, au mieux, n’aurait pu m’apporté rien d’autre que dans savoir un peu plus sur leurs fins respectives.
Pour passer sur une meilleure note voici une courte anecdote. Chaque pays a ses habitudes culinaires qui peuvent parfois surprendre les non-initiés. Bosc et moi-même déjeunions dans une petite gargote avec du personnel de l’ambassade de l’URSS où ces derniers avaient l’habitude de commander des soupes de nouilles chinoises. A peine servi mon voisin demande : « et les baguettes ? ». Je lui fais remarquer qu’elles sont là, juste à coté de son bol. Mais mon voisin de répondre « Non, les baguettes françaises ! ». Le serveur qui avait l’habitude de ses clients arrive aussitôt avec un paquet de French baguettes de 750 grs et chacun de nos amis de prendre la moitié d’une baguette et de l’écraser en morceaux dans son bol de nouilles dont la soupe commence à déborder. Il faut je pense un solide appétit pour absorber cette épaisse mixture. En quittant la place le serveur me fait remarquer : « C’est ce qu’ils commandent chaque fois qu’ils viennent ici ! ».
Les progrès techniques permirent une remise en route relativement rapide du centre de Phnom Penh. Il n’était déjà plus nécessaire d’installer émetteurs et récepteurs radio, de disposer d’emplacements relativement spacieux pour installer des antennes unifilaires. Une station VSAT en ville et une autre à l’aéroport et Phnom Penh était de nouveau connecté au monde du transport aérien. J Bosc dénicha une petite villa en ville pour remplacer l’ancien centre de l’Hôtel Royal et SITA renaissait au Cambodge.
Je garde cependant toujours en mémoire le souvenir de notre ancien personnel que j’avais côtoyé pendant plus de 20 ans. Travaillant seuls dans la majorité des cas ces opérateurs avaient toujours fourni un service que les compagnies utilisatrices qualifiaient d’excellent et sans faille.
https://wikisita.com/gallery/nggallery/far-east/Phnom-Penh
Bernard Leroy
Note : Pour ceux intéressés par la période Khmers Rouges voir :
Pol Pot Wikipedia
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About Bernard Leroy
Following the death of my parents I found myself at the end of WW2 at the age of 14 working as a ploughman behind two horses. Four years later I joined the French Air Forces for five years. In 1953 I joined the French Civil Aviation Administration and was in charge of the engineering maintenance of the Saigon Regional Control Centre, a very busy centre as the war was going on. Three years later the service was transferred to the Vietnamese Administration. At that time the SITA Management had in mind to operate, in Iran and in the newly independent countries of Indochina, the air/ground and ground to ground telecommunications on behalf of the local administration, in the same way as Aerosiam was doing in Thailand. For that reason I was seconded to Air France and sub-seconded to SITA in order to provide the technical support to the local SITA Representative based at Saigon. These projects did not materialise for the simple reason that the countries concerned, at least in Indochina, were expecting to obtain equipment free from US Aid, Colombo Plan and other sources instead of having a third party operating on their behalf. Some years later I ended as SITA Representative for Thailand, Laos and Cambodia and soon after took control of some centres in the Pacific while opening Sri Lanka and Burma. During these years in Bangkok I got experience dealing with local PTTs which were quite tough in those days, and competing with Aerosiam I understood airlines business and what these airlines were expecting from us. I was then appointed DR and in 1970 transferred to Hong Kong. Not long after this move I resigned from the French Civil Aviation and became a SITA staff. While based at Hong Kong and later Singapore, aiming at providing all the needs of airlines operating in the area, mostly the rapidly growing local airlines, I prepared projects, negotiated with local administrations and implemented SITA services in more than 30 Asia and Pacific countries.