Souvenirs de Claude Lalanne

Je n’ai à aucun moment de mes 20 ans de carrière à SITA (1981-2001), eu le privilège de reporter directement à Claude Lalanne, aussi ne suis-je certainement pas le mieux placé pour parler de lui. 

Néanmoins, j’ai eu à plusieurs reprises, l’occasion de m’entretenir en tête-à-tête avec lui et ainsi d’apprécier ses qualités de jugement et de patron, ce dont j’aimerai témoigner ici à travers la relation de deux entretiens qui, à mon échelle, ont contribué à faire des années 90, un grand moment de l’histoire de la SITA, des années marquées par l’explosion des services télécom traditionnellement offerts aux secteur du transport aérien, ainsi que par une offre de services étendue à l’ensemble des entreprises, grâce à la création de notre filiale EQUANT, en bénéficiant de l’avantage unique pour l’époque, d’une couverture mondiale de réseau, qui plus est “sans couture”.

Le premier de ces entretiens se tint en 1988 à Sophia Antipolis, alors qu’assisté de Jean-Michel Kaliszewski et d’une petite équipe de jeunes et brillants ingénieurs issus de services variés de la SITA ou recrutés pour l’occasion, je fus chargé de diriger un département R&D, nouvellement créé* dont la première tâche fut d’établir le cahier des charges d’un appel d’offres, procéder au dépouillement des offres, puis soumettre à notre direction générale, pour la fourniture du réseau dit “MTN” destiné à couvrir nos besoins des années 90, une pré-sélection de deux candidats; le choix de l’heureux élu étant ensuite de son ressort.

Il se trouva qu’avant de remettre cette short list, je fut soumis à des pressions pour que soit retenu UNISYS, notre fournisseur actuel du réseau DTN, dans celle-ci, alors que son offre, quasiment réduite à un statu-quo, ne répondait nullement à notre cahier des charges et devait par conséquent l’exclure en toute logique, de la compétition. Mon équipe et moi-même ne pouvions nous résoudre à satisfaire cette requête, aussi je fus conduit à solliciter un entretien urgent avec Claude Lalanne pour lui exposer la situation. Cet entretien se tint rapidement et en tête-à-tête. Après m’avoir attentivement écouté et scruté, Claude Lalanne me dit simplement: “Nous ne sommes pas mariés à UNISYS”, autrement dit me fournit le feu vert pour poursuivre notre mission comme prévu.

Je fus nommé début 90 à la tête du département “Network Planning and Technical Support” (PAREN), rapidement intégré à la Joint Venture SITA/EQUANT (JV) dirigée par Jean-Pierre Gaudard. Ce département était constitué de vieux briscards ayant roulé leur bosse dans les régions, donc bien au fait des réalités du terrain et renforcé, après mon arrivée, de jeunes ingénieurs bien au fait des nouvelles technologies et armés pour répondre aux nouveaux enjeux de l’époque. Le Département travaillait d’arrache-pied, en relation étroite avec les DN des régions pour adapter le réseau aux besoins en disponibilité, qualité et coût ,requis par l’explosion de la demande, ainsi que pour satisfaire les besoins croissants en assistance technique avant-vente requis par les services nouvellement introduits ainsi que les réponses aux appels d’offres complexes tels que la reprise, par externalisation, de réseaux existants.

C’est dans ce contexte que j’eu mon second entretien important avec Claude Lalanne. Il s’averait qu’en ce temps là, le point faible de notre réseau était sa faible présence sur le territoire americain, domaine dominé par ARINC, notre principal concurrent auprès des compagnies aériennes nord-americaines. Nous savions que Claude Lalanne avait fixé comme objectif prioritaire de combler cette lacune et une magnifique opportunité de la combler s’est présentée lorsque American Airline, première compagnie aérienne mondiale, decida d’externaliser SABRE, son réseau domestique. Informé de la chose, je  me rendis à ATLANTA afin de rencontrer les  responsables AA concernés afin d’essayer de me faire livrer par eux leurs raisons profondes. J’eu la chance qu’ils me les confient.

Présenter une offre financièrement attractive ne constituait pas une difficulté technique majeure en raison des économies d’échelle résultant d’une opération dont SITA était familière, même si elle était exceptionnelle par son ampleur (près de 10.000  terminaux et lignes déployées sur le territoire nord-americain à raccorder au réseau SITA). En revanche, satisfaire la principale attente de AA, requerait de déroger à un sacro-saint principe de SITA en matière de facturation du type A. SITA serait elle prête à accepter cette dérogation afin de mettre de son côté toutes les chance de l’emporter? Toute la question était là, question que je posais à Claude Lalanne qui se trouvait être présent à ATL et en réunion avec Didier Delépine. La réponse donnée par Claude Lalanne fut immédiatement positive. M’en retournant le lendemain à PARIS, je fus donc en mesure de confier à Thierry Langlais, mon adjoint, la tâche, d’établir le Business Plan et le plan de migration correspondant, ce dont il s’acquitta à la perfection. Et vous savez quoi? SITA emporta le morceau. Je reçu ensuite de AA, en confidence, que jamais ils n’auraient cru cette vieille dame de SITA, capable de pareille réactivité. Comment se passa ensuite l’intégration du réseau SABRE au réseau SITA est une toute autre histoire…

*Suite à une recommandation émanant de McKinsey.  S’il y a du vrai dans la critique souvent entendue, que les consultants sont des gens à qui vous donnez votre montre   afin qu’ils vous donnent l’heure en retour, il faut reconnaître que, dans notre cas, chaque fois que McKinsey fut appelé   à intervenir, ils firent un excellent travail, qui préluda à des changements majeurs, surtout ceux des années 90,  changements qui ne seraient probablement jamais intervenus sans leur intervention.  J’ignore par contre si c’est davantage à Claude Lalanne ou aux membres du board, qu’on doit la bonne décision d’avoir  fait appel à eux.

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